LA MALADIE

Le Parkinson l’oublié du confinement

Moins d’activité physique et d’accès aux soins, perte du lien social, contexte anxiogène exacerbé : ces derniers mois les malades atteints de Parkinson ont accumulé les handicaps. Alors que la pathologie, qui ne touche pas que les personnes âgées, explose dans le monde, la recherche très active laisse entrevoir quelques espoirs thérapeutiques.

« Il est indéniable que le premier confinement a eu un impact négatif sur ma santé, assure Stéphane Billerey, diagnostiqué Parkinson depuis quatre ans. J’ai perdu un peu de mobilité du côté droit et je me mets à trembler, ce qui ne m’arrivait pas avant. C’est l’évolution normale de la maladie, mais j’ai l’impression que ça l’a un peu accélérée. » En cause : une moindre activité physique, l’impossibilité d’aller voir certains professionnels de santé, un contexte sanitaire anxiogène particulièrement délétère…

« C’est une maladie très étrange qui fait que l’on est très sensible au stress. Du coup, on absorbe vraiment le stress ambiant, ce qui impacte l’évolution de la maladie. »A 56 ans, Stéphane Billerey est toujours actif mais comme beaucoup a dû se mettre à travailler à distance. « Avec le télétravail, je fais automatiquement moins d’exercice physique et il me manque les interactions avec les collègues, à la fois sur le plan relationnel et sur le plan cognitif. »

Confinement : la double peine

Beaucoup de personnes vivant avec la maladie de Parkinson partagent le constat fait par Stéphane : 60 % de celles interrogées par l’association France Parkinson une semaine avant la fin du premier confinement rapportaient une aggravation des symptômes moteurs de la maladie, 73 % une augmentation des troubles de l’anxiété et 80 % un accroissement des douleurs et des troubles du sommeil.

Plus de 60 % ont fait part d’une réduction importante de l’activité physique quotidienne et 85 % ont signalé un arrêt des séances avec leur kinésithérapeute. « Les patients ont déjà tendance à être enfermés dans leur maladie alors le confinement, c’est la double peine », résume Didier Robiliard, président de France Parkinson, lui-même atteint.

« Assez dramatique sur le moment, le premier confinement pourrait aussi avoir des effets de long terme, s’inquiète Marie Fuzzati, directrice scientifique chez France Parkinson. Par exemple, l’effet bénéfique de l’activité physique disparaît progressivement dès que les patients arrêtent d’en faire et il leur est ensuite difficile de remonter la pente. »

Heureusement, quelques aménagements ont été apportés pour le second confinement, comme l’autorisation des visites en Ehpad pour briser l’isolement ou la possibilité d’aller voir tous les professionnels de santé. Stéphane peut cette fois-ci se rendre chez son kiné une fois par semaine. « Revivre cette situation est tout de même difficile psychologiquement. Il faut se blinder. J’imagine que des personnes moins accompagnées doivent rencontrer des problématiques psychologiques assez fortes. »

De Jean-Paul II à Michael Fox

De nombreuses personnes connues ont été ou sont affectées par la maladie de Parkinson, à l’instar du pape Jean-Paul II, du boxeur Mohamed Ali ou de la présentatrice météo Catherine Laborde, qui a témoigné dans son livre « Trembler » (Plon, 2018). L’acteur américain Michael J. Fox, rendu célèbre par son rôle dans la trilogie « Retour vers le futur », a été diagnostiqué à seulement 29 ans. Il le révèle au grand public à la fin des années 1990 et se dit choqué, lors d’un témoignage devant le Congrès américain, par les « si maigres » financements attribués à la recherche sur cette maladie. En 2000, il crée sa fondation, qui a depuis consacré plus de 900 millions de dollars à la recherche sur la maladie de Parkinson, ce qui en fait le plus grand bailleur de fonds à but non lucratif pour cette pathologie. www.michaeljfox.org

Un doublement en vingt-cinq ans

Ce sentiment d’oubli vécu pendant le premier confinement fait étrangement écho à une perception plus large de méconnaissance de la maladie de Parkinson. « C’est une maladie qui souffre d’ignorance, certainement parce qu’elle est attribuée au grand âge, alors qu’elle touche aussi des personnes en activité professionnelle et qu’elle est souvent réduite aux tremblements, alors qu’elle est source de bien d’autres complications », regrette Didier Robiliard.

Diagnostiqué à 45 ans, il a été contraint de s’arrêter de travailler au bout de cinq ans à cause de « raideurs, de lenteurs et d’une fatigue extrême ». Après une intervention chirurgicale (neurostimulation), il a retrouvé certaines facultés physiques et a choisi de s’engager auprès de France Parkinson, dont l’un des objectifs est de « faire sortir la maladie de l’ombre ».

Une maladie aux causes multifactorielles et pour beaucoup encore mal définies

Si Parkinson touche moins de personnes que la maladie d’Alzheimer – à laquelle elle est, à tort, souvent assimilée ou confondue – c’est la maladie neurodégénérative dont le nombre de cas a le plus augmenté entre 1990 et 2015. Il a plus que doublé, passant de 2,6 à 6,3 millions de patients dans le monde. Et pourrait doubler de nouveau d’ici 2040, à 12,9 millions, alertent quatre grands scientifiques spécialistes de la maladie dans un ouvrage paru aux Etats-Unis au printemps (1).

« C’est la maladie du cerveau qui connaît la croissance la plus rapide au monde, martèle Ray Dorsey, l’un des auteurs, professeur de neurologie à l’université de Rochester. Le risque au cours de notre vie de développer la maladie de Parkinson est six à sept fois plus élevé que celui de mourir d’un accident de voiture. Presque tout le monde sera affecté, directement ou indirectement.»

Une maladie décrite il y a deux siècles

En France, on recensait environ 160.000 patients parkinsoniens fin 2015 et une progression de 25.000 nouveaux cas par an, dont 17 % âgés de moins de 65 ans (2). Une étude publiée en 2018 prévoit une augmentation du nombre de patients d’environ 65 % entre 2010 et 2030 (3). « Le premier facteur de risque est l’âge, le sexe en étant un autre puisque cette maladie est environ 1,5 fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme. Le nombre de cas va augmenter fortement en raison du vieillissement de la population mais aussi de l’allongement de l’espérance de vie, puisque les patients parkinsoniens vivront alors plus longtemps avec la maladie », analyse le neurologue et épidémiologiste Alexis Elbaz, directeur de recherche à l’Inserm.

Loin de se résumer aux tremblements (30 % n’en auront jamais), cette pathologie, décrite pour la première fois en 1817 par le médecin britannique James Parkinson, peut être définie comme une « maladie de l’automaticité, explique David Devos, professeur à l’université de Lille et neurologue au CHU de Lille. Elle affecte la motricité automatique mais aussi l’intelligence automatique et les émotions automatiques, par exemple lorsqu’on éclate de rire devant un film. » Le mécanisme de la maladie est bien connu : une mort régulée (c’est-à-dire enclenchée par la cellule) de certains neurones du cerveau, notamment – mais pas seulement – des neurones dopaminergiques. Elle se caractérise par la formation d’agrégats de protéines alpha-synucléines et une surcharge en fer.

Un diagnostic délicat

Quant aux causes, elles sont multiples et pour beaucoup encore mal définies. « Il n’y a pas une seule cause car c’est une maladie multifactorielle. De façon très schématique, il y a pour chaque individu une cinquantaine de facteurs génétiques possibles, une cinquantaine de facteurs environnementaux possibles et 50 fois 50 interactions possibles entre ces facteurs, indique David Devos.  C’est pour cela qu’il n’y a pas UNE maladie de Parkinson mais DES maladies de Parkinson. » Comme le détaille Marie Fuzzati, « si l’on regroupe dix personnes vivant avec Parkinson, elles seront très différentes en termes d’âge, de symptômes, de progression de la maladie, de réponse aux médicaments, d’effets secondaires des traitements… »

Le principal traitement, la L-Dopa, il est vieux de cinquante ans. Cinquante ans !

« La définition de la maladie de Parkinson reste un vrai problème scientifique, résume Olivier Rascol, neurologue au CHU de Toulouse. En l’absence de biomarqueurs visibles du vivant du patient, le diagnostic s’effectue toujours sur un faisceau d’arguments cliniques et il y a 10 % des cas dans lesquels on se trompe. » Pour Ray Dorsey, la façon de diagnostiquer cette maladie est tout simplement « archaïque »« Quant au principal traitement, la L-Dopa, il est vieux de cinquante ans. Cinquante ans ! Nous avons fait plus de percées thérapeutiques au siècle dernier qu’au siècle actuel », regrette-t-il.

La L-Dopa, un précurseur de la dopamine, est « l’une des révolutions de la neuro-pharmacologie moderne, rappelle Olivier Rascol.Même s’il est loin d’être parfait, notamment car il n’agit pas sur les anomalies non-dopaminergiques du cerveau, c’est le médicament le plus puissant en termes de réponse et d’efficacité. »Ce qui explique qu’il reste encore le « gold standard » (le meilleur du moment) après tant d’années.

160 molécules testées

De nombreux médicaments complémentaires existent et il y a aujourd’hui tout un éventail de traitements permettant aux neurologues d’affiner au mieux selon chaque patient. Mais tous ces traitements « restent symptomatiques, c’est-à-dire qu’ils améliorent les symptômes mais n’ont pas d’impact sur l’évolution de la maladie », précise David Devos. Il n’existe donc pas encore de traitement neuroprotecteur visant à ralentir ou à guérir la maladie. Pourquoi ? « Pour une raison très simple qu’il ne faut pas oublier : on ne voit pas ce qu’on fait, poursuit-il. L’une des clés est de pouvoir suivre les biomarqueurs pour bien visualiser la mort des neurones et voir l’impact d’un traitement au niveau du cerveau. Une fois qu’on aura ces outils, qui sont en cours de développement, on pourra tester de façon beaucoup plus pertinente des molécules et des combinaisons de molécules. »

La bonne nouvelle, c’est que la recherche sur la maladie de Parkinson est très dynamique avec plus de 160 nouvelles molécules actuellement testées dans le monde, principalement dans cette optique de neuroprotection, souligne David Devos. « Il y a beaucoup d’avancées scientifiques mais pas encore d’innovation thérapeutique majeure. On espère que ce sera le cas dans les prochains mois ou années. »

Le chercheur vient de terminer une grande étude européenne afin d’évaluer l’efficacité d’un traitement à base de défériprone pour lutter contre l’accumulation de fer dans les zones du cerveau qui dégénèrent (4). Si les résultats, attendus pour avril 2021, sont positifs, il pourrait s’agir d’une première stratégie de neuroprotection. A l’image de cet essai, « de nombreuses recherches actuelles portent sur le repositionnement de médicaments déjà sur le marché, ce qui comporte de grands avantages en termes de rapidité de mise à disposition pour les patients si les effets sont prouvés », souligne Marie Fuzzati.

Maladie professionnelle chez les agriculteurs

Là où le bât blesse, c’est en termes de prévention, notamment en ce qui concerne les facteurs environnementaux. « La maladie de Parkinson est probablement en grande partie causée par le développement industriel mais c’est vraiment là où il y a le moins d’actions », déplore Marie Fuzzati. Par exemple, « l’exposition aux pesticides comme facteur de risque est maintenant assez bien établie, au point qu’en France la maladie de Parkinson est reconnue depuis 2012 comme maladie professionnelle chez les agriculteurs, sous certaines conditions », indique Alexis Elbaz.

Qu’en est-il chez la population générale ? Le chercheur a mené une étude montrant une incidence de la maladie de Parkinson un peu plus élevée dans les cantons les plus ruraux et notamment les plus viticoles. « Mais c’est une étude écologique pour laquelle on ne peut pas établir de lien au niveau individuel. »

L’exposition aux pesticides comme facteur de risque est maintenant assez bien établie

En somme, c’est démontré au niveau épidémiologique chez l’homme et les expériences sur les animaux exposés à des pesticides montrent clairement une causalité. « Les modèles animaux conduisent tout de même à une forte probabilité de causalité chez l’homme », souligne David Devos, pour qui le manque de financements empêche de répondre au besoin massif de recherche dans ce domaine. « Il y a de très importants facteurs environnementaux contribuant à la maladie de Parkinson, dont des pesticides et des solvants que nous utilisons toujours, la pollution de l’air et les métaux lourds », s’indigne quant à lui Ray Dorsey. Avec ses coauteurs, il présente un plan d’action en 25 points, dont les deux premiers sont de bannir le paraquat et le trichloroéthylène. ce qui est déjà le cas dans l’Union européenne, depuis respectivement 2007 et 2016, mais pas aux Etats-Unis ni dans de nombreux autres pays.

Un choix politique

Avec « Ending Parkinson’s disease », Ray Dorsey ambitionne de provoquer une prise de conscience publique et politique à l’image de celle qui a eu lieu pour le sida, qui « est maintenant la maladie bénéficiant du plus de fonds fédéraux pour la recherche aux Etats-Unis ». En France, un réseau regroupe depuis 2012 les 25 centres experts Parkinson. « Grâce au soutien financier du programme d’investissements d’avenir, le réseau Ns-Park a eu un effet levier en nous permettant de doubler le nombre d’études auxquelles nous participons, de suivre de plus grandes cohortes de patients, d’être plus compétitifs pour gagner des financements et attirer les industriels. Mais ceci reste insuffisant parce que les sommes affectées sont demeurées modestes », pointe Olivier Rascol, qui coordonne le réseau. Inquiet de l’avenir incertain du plan maladies neurodégénératives 2014-19, il estime également que c’est une question politique : « La recherche sur le cancer est performante en France en grande partie parce qu’il y a eu un choix politique de santé publique d’y investir beaucoup d’argent depuis de nombreuses années. Il n’y a pas eu un effort de la même ampleur pour les maladies neurodégénératives. » Pas encore.

Source: www.lesechos.fr / édité par Jessica Berthereau.

(1) « Ending Parkinson’s disease », Ray Dorsey, Todd Sherer, Michael S. Okun, Bastiaan R. Bloem. PublicAffairs, 2020.

(2) Santé publique France, Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 10 avril 2018.

(3) «Projections of prevalence, lifetime risk, and life expectancy of Parkinson’s disease (2010‐2030) in France», Mathilde Wanneveich, Frédéric Moisan, Hélène Jacqmin‐Gadda, Alexis Elbaz, Pierre Joly. Movement Disorders, 2018, vol. 33, n°. 9,.

(4) www.fairpark2.eu/

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